Ulcère de Buruli
L'Ulcère de Buruli est un ulcère tropical qui peut être rencontré chez des patients originaires de pays d'endémie.
Généralités
Définition
- L'uclère de Buruli est infection à tropisme cutanée liées à une mycobactérie atypique, Mycobacterium ulcerans (MU) qui provoque des ulcérations nécrotiques délabrantes avec des séquelles ostéoarticulaires parfois très importantes.
- C'est actuellement la troisième mycobactériose humaine après la tuberculose et la lèpre.
- MU produit une toxine, le mycolactone
Epidémiologie
- L'ulcère de Buruli est une maladie des pays chauds et humides endémique en Afrique, notamment dans les zones rurales, à proximité de zones humides (rivières, lac, fleuves, marécages).
- L'incidence est estimée entre 5000 et 6000 nouveaux cas annuels.
1. Épidémiologie
Le réservoir et les modalités de transmission de M. ulcerans ne sont pas tout à fait élucidés. A l’inverse de la tuberculose ou de la lèpre, il n’y pas de transmission inter-humaine. L’homme se contaminerait à partir d’un réservoir environnemental hydrotellurique, par inoculation directe transcutanée lors de microtraumatismes. Le rôle des insectes aquatiques est également incriminé, en particulier les punaises aquatiques (Naucoridae) qui sont à la fois hôte naturel et vecteur, et pourraient transmettre la maladie par piqûre accidentelle de l’homme après multiplication de M. ulcerans dans leurs glandes salivaires (photo 1). M. ulcerans forme un biofilm sur les végétaux absorbés par les mollusques et les poissons, proies des punaises aquatiques qui pourraient ainsi se contaminer par leur intermédiaire.
La distribution des foyers épidémiques localisés est expliquée par des bouleversements environnementaux
(déforestation, création de lacs artificiels pour l’irrigation et la pêche, inondation) qui favorisent le développement
du ou d’un vecteur. Récemment, des facteurs de risque ont été individualisés en Afrique : proximité de rivières et
de plan d’eau à débit lent, utilisation de sources d’eau non protégées pour les activités domestiques, absence de
vêtements protecteurs (pantalons, chemises à manches longues), désinfection inadaptée des plaies.
L’UB s’observe à tout âge sans prédilection de sexe mais atteint préférentiellement les enfants de moins de
15 ans qui représentent la moitié des cas selon l’OMS.
L’infection par le VIH n’est pas un facteur de risque mais elle complique la prise en charge. L’infection à M. ulcerans
est caractérisée par une faible létalité qui contraste avec l’importance des séquelles ostéo-articulaires
invalidantes observées chez plus de la moitié des patients.
2. Physiopathologie M. ulcerans est une mycobactérie environnementale à croissance lente qui se cultive à des températures comprises entre 30 et 32 °C (plus basses que pour M. tuberculosis) et qui est retrouvée dans le derme et l’hypoderme. C’est une mycobactérie facultative qui s’organise en biofilm et possède une paroi lipidique qui lui confère une résistance aux agents physicochimiques. A l’inverse des autres mycobactéries pathogènes, elle produit une exotoxine lipidique, la mycolactone seul facteur de virulence connu de la bactérie. Cette mycolactone posséde des propriétés cytotoxiques, qui rendent compte de la nécrose et de l’extension des lésions cutanées et des propriétés immunosuppressives qui expliquent la faible réaction inflammatoire locale.
3. Clinique L’expression clinique de l’infection à M. ulcerans est polymorphe, influencée par le site de l’infection, le délai de prise en charge et l’immunité du patient. Contrairement à ce qui est généralement admis, en zone d’endémie, l’absence de spécificité des signes cliniques rend mal aisé le diagnostic sur les seuls arguments cliniques. Quelque soit le stade clinique de la maladie, la chronicité et l’indolence des lésions cutanées doivent y faire penser.
3.1. Forme typique
Après une période d’incubation variant de quelques semaines à plusieurs années, l’UB évolue classiquement
en trois stades distincts (pré-ulcératif, ulcératif, cicatriciel).
3.1.1. Formes pré-ulcératives
C’est le stade de début de la maladie qui peut se révéler par quatre lésions élémentaires dermatologiques :
papule, nodule, plaque, oedème. Ces lésions se situent au niveau des membres inférieurs (60 %), des
membres supérieurs (30 %), plus rarement au niveau de la face ou du tronc (10 %).
• Une papule est une lésion surélevée, indolore, de plus de 1 cm de diamètre.
• Un nodule est une lésion palpable, ferme, de 1 à 2 cm, indolore, adhérente à la peau, plus ou moins prurigineuse,
parfois associée à un halo oedémateux (photo 2).
• La plaque est une large lésion cutanée indurée, surélevée, froide, indolore, bien délimitée, à bords irréguliers
et à surface dépigmentée.
• L’oedème se manifeste par une tuméfaction sous-cutanée froide, ne prenant pas le godet, plus ou moins
douloureux, fixe, aux limites floues pouvant s’étendre à un membre, à une région du tronc, au visage, à la
région périnéale.
A ce stade précoce, les lésions passent souvent inaperçues et peuvent être confondues avec de nombreux
diagnostics différentiels (tableau 1). Des formes inflammatoires associées à de la fièvre peuvent mimer une
dermo-hypodermite bactérienne.
Selon l’OMS, la promotion du dépistage de masse de ces formes précoces, qui représentent actuellement
seulement 10 % des cas diagnostiqués, est une priorité.
3.1.2. Formes ulcératives Les nodules et les papules évoluent le plus souvent vers une ulcération cutanée profonde d’extension progressive. Classiquement, cette perte de substance dermo-épidermique présente un fond nécrotique jaunâtre, des bords décollés et un pourtour oedémateux (photo 3). Unique ou multiple, à l’emporte-pièce, l’ulcération de dimension parfois très importante, est caractérisée par sa chronicité et son indolence, sauf en cas de surinfection (photo 4). En l’absence de complication, l’état général des patients est préservé et il n’y a pas de fièvre. À ce stade d’ulcération les diagnostics différentiels sont nombreux (tableau 1).
3.1.3. Cicatrisation et séquelles La guérison spontanée est possible. La cicatrisation s’accompagne de nombreuses séquelles à type de chéloïdes et de rétractions associées à une ankylose. Les récidives sur le site initial de l’infection sont fréquentes. 60 ePILLY trop 2016 - Maladies infectieuses tropicales SOMMAIRE INDEX 451 3.2. Formes compliquées Des atteintes multifocales associant plusieurs lésions ulcérées sont possibles, en particulier chez les enfants et les patients infectés par le VIH. Des formes extensives en profondeur peuvent détruire tendons, muscles, nerfs, organes, notamment le tissu périorbitaire, entraînant la perte de l’oeil. Les atteintes osseuses par contiguïté ou par diffusion hématogène peuvent se compliquer d’arthrites ou d’ostéomyélites des extrémités responsables de séquelles à type de déformations ou du fait de nécessaire amputation. Enfin les surinfections bactériennes, favorisées par un défaut d’asepsie sont fréquentes. Elles sont responsables de phlegmon, de dermo-hypodermite bactérienne aiguë, voire de septicémie
4. Diagnostic Dans les zones endémiques, le diagnostic microbiologique reste trop peu utilisé. Il est essentiel pour la surveillance épidémiologique et pour améliorer la précision du diagnostic clinique. Il repose sur quatre méthodes de confirmation qui ne sont pas toutes disponibles en routine. Selon l’OMS il faut au moins deux examens positifs pour affirmer formellement le diagnostic. 4.1. Examen direct d’un frottis cutané Sur le terrain, la mise en évidence de bacilles acido-alcoolo-résistants (BAAR) à l’examen direct d’un frottis (méthode de Ziehl-Neelsen) à partir d’écouvillons passés sur les bords décollés de l’ulcère reste un examen aisément praticable par des personnels entraînés. Sa sensibilité est faible et varie suivant les formes cliniques, entre 60 % pour les formes nodulaires et 80 % pour les formes oedémateuses. 4.2. Culture La culture (sur milieu de Loewenstein-Jensen) pratiquée à partir des écouvillons ou des biopsies cutanées prend au moins 6 à 8 semaines. Sa sensibilité est de l’ordre de 50 % surtout si les échantillons doivent être décontaminés puis acheminés vers un laboratoire référent. 4.3. Amplification génique (PCR) de la séquence IS2404 Cet examen réalisé directement sur les échantillons cliniques ou bien à partir des milieux de culture, permet de détecter la séquence d’insertion IS 2404 spécifique de M. ulcerans. Sa sensibilité est de 98 %, la spécificité est proche de 100 %. C’est la technique privilégiée par l’OMS. Elle est disponible dans un réseau de 17 laboratoires de référence en Afrique. 4.4. Histopathologie Elle nécessite une biopsie profonde (jusqu’à l’aponévrose) d’une lésion. Sa sensibilité est de 90 %. Elle montre une nécrose du collagène dermique et du tissu cellulo-adipeux sous cutané avec une réaction inflammatoire modérée et la présence de BAAR en plus ou moins grand nombre (rares dans les ulcères, nombreux dans les nodules). L’étude histopathologique est surtout utile pour poser un diagnostic différentiel de l’UB lorsque les autres examens sont négatifs. 4.5. Détection de la mycolactone La mise en évidence de la toxine (mycolactone) par fluorescence à l’aide d’un test rapide réalisable par les agents de santé est en cours de validation
5. Traitement. Évolution L’antibiothérapie est désormais le traitement de première intention pour toutes les formes cliniques de la maladie.
5.1. Antibiotiques L’association rifampicine-streptomycine pendant 8 semaines a montré des résultats prometteurs : guérison de la moitié des lésions précoces et ulcérées de moins de 5 cm, réduction du volume lésionnel et donc de l’étendue de l’intervention chirurgicale, diminution du risque de rechute post chirurgicale des formes évoluées ou compliquées (ostéomyélites). D’autres schémas thérapeutiques tels que 4 semaines de rifampicine- streptomycine, suivies de 4 semaines de rifampicine-clarithromycine ou 8 semaines de rifampicine - clarithromycine obtiennent des taux de guérison sans rechute élevés. Ces performances ont conduit l’OMS à élaborer de nouvelles recommandations thérapeutiques guidées par la taille, le nombre de lésions, et la facilité d’accès aux antibiotiques ou à une chirurgie de qualité (tableau 2).
5.2. Chirurgie La chirurgie conservatrice, avec notamment le débridement et la greffe cutanée (photo 5), peut s’avérer nécessaire dans certains cas pour aider la guérison et réduire le plus possible les cicatrices susceptibles de limiter ensuite les mouvements. 5.3. Mesures associées La diffusion des règles d’asepsie et la qualité des pansements sont essentielles pour favoriser la cicatrisation et limiter les surinfections bactériennes (photo 5). La vaccination antitétanique doit être à jour. La kinésithérapie et la rééducation fonctionnelle (appareillage) doivent être utilisées au plus tôt afin de limiter les séquelles invalidantes. L’intérêt des techniques adjuvantes (thermothérapie, oxygénothérapie hyperbare, héparines de bas poids moléculaire utilisées par certains) est discuté.
6. Prévention Dans les régions endémiques, la limitation des contacts avec l’environnement est illusoire. La protection des points d’eau peut être utile. La vaccination par le BCG protégerait des complications osseuses, mais son rôle dans les formes cutanées est controversé. La lutte contre l’ulcère de Buruli repose désormais sur un dépistage précoce des cas et l’administration d’une association d’antibiotiques. Le suivi des plaies, la prévention des séquelles par la physiothérapie et la chirurgie conservatrice complètent l’arsenal thérapeutique.